Matterhorn winter banner photo Tim Barnett

Sur l’arête sommitale emblématique du Cervin, les alpinistes se vachent aux cordes fixes installées pour la saison. Les fibres de nylon, exposées à un rayonnement UV impitoyable et au vent, libèrent lentement des fragments microscopiques. Loin en contrebas, dans les montagnes Adirondack de New York, les randonneurs gravissent le lac Tear of the Clouds, laissant une traînée invisible de particules de caoutchouc provenant de leurs chaussures à semelle souple. Dans le lac Sassolo en Suisse—un lac alpin isolé à 2 074 mètres sans habitation humaine—les chercheurs ont trouvé 2,6 particules de microplastiques par litre d’eau.

Ces scènes, séparées par un océan, racontent la même histoire : même nos zones sauvages les plus vierges sont contaminées par les microplastiques. Et de plus en plus, la source n’est pas les retombées atmosphériques des villes lointaines—c’est nous, transportant la pollution à chaque pas, chaque ascension, chaque randonnée à ski.

### Les Alpes suisses : un laboratoire de microplastiques

La Suisse devrait être un scénario idéal. C’est le pays européen le plus performant en matière de collecte des déchets plastiques, avec des programmes complets de recyclage et d’incinération. Pourtant, les microplastiques imprègnent même ses paysages les plus reculés.

Une étude de 2019 menée par des chercheurs suisses, autrichiens et néerlandais a estimé que 43 billions de minuscules particules de plastique se déposent en Suisse chaque année, des Alpes aux basses terres. Une recherche publiée dans Science Advances a trouvé des microplastiques dans la neige alpine européenne à des concentrations allant de 0,19×10³ à 154×10³ particules par litre—des niveaux comparables aux zones urbaines.

Une étude de l’Université de Berne a analysé des échantillons de sol provenant de 29 bassins versants et a trouvé des microplastiques dans 90% des échantillons. Le chercheur Moritz Bigalke a déclaré au Guardian : « Nous avons été vraiment surpris. Toutes les zones se trouvaient dans des parcs nationaux. Nous pensions trouver une ou deux particules de plastique, mais nous en avons trouvé beaucoup. »

L’étude suisse la plus révélatrice s’est concentrée sur le lac Sassolo, un lac alpin inhabité au Tessin. Les chercheurs ont trouvé une moyenne de 2,6 microplastiques et 4,4 fibres par litre dans la colonne d’eau, les sédiments montrant 33 microplastiques par kilogramme et 514 fibres par kilogramme. Ce schéma d’accumulation suggère que les microplastiques ne font pas que passer—ils deviennent une caractéristique permanente des écosystèmes alpins.

### Comment ils arrivent là : trois voies

**1. Transport atmosphérique**

Une étude de 2019 analysant la neige dans l’Arctique, en Allemagne et dans les Alpes suisses a trouvé des microplastiques dans 20 échantillons sur 21, avec des types de polymères incluant vernis, caoutchouc, polyéthylène et polyamide. Les particules sont suffisamment légères pour se comporter comme de la poussière, emportées par les courants d’air et déposées à des milliers de kilomètres de leur source.

Des recherches de l’EMPA, de l’Université d’Utrecht et de l’Institut central autrichien de météorologie et de géodynamique ont estimé qu’environ 3 000 tonnes de particules de nanoplastique sont déposées en Suisse chaque année. Environ 10% de celles-ci proviennent de plus de 2 000 kilomètres—de l’océan Atlantique, où l’action des vagues introduit les microplastiques marins dans l’atmosphère.

**2. Activité humaine directe : les chaussures**

Mais les retombées atmosphériques ne sont pas toute l’histoire. La preuve la plus spectaculaire provient d’études de comparaison directe.

Dans les Adirondacks de New York, le scientifique des données Tim Keyes a échantillonné deux lacs alpins à altitude similaire, à seulement un mile de distance. Le lac Tear of the Clouds se trouve sur un sentier très fréquenté menant à trois sommets populaires. Moss Pond nécessite une randonnée hors-piste et ne voit presque aucun visiteur.

La différence était frappante : le lac Tear a montré 16,54 particules de microplastiques par millilitre en 2025, contre seulement 0,73 particule par millilitre dans Moss Pond—une différence de 2 264%. Lorsque Keyes a échantillonné pour la première fois le lac Tear en 2023, il mesurait 9,45 particules par millilitre. En deux ans, la contamination a presque doublé.

« C’est une indication assez claire compte tenu de la différence marquée des niveaux de microplastiques entre le plan d’eau jumeau accessible par bushwhacking et le lac Tear, qui se trouve sur ce passage pour randonneurs qui voit des dizaines de milliers de personnes chaque année », a déclaré Keyes au Guardian.

Les chaussures de trail à semelle souple sont le principal coupable. Les chaussures de trail modernes utilisent des composés de polyuréthane et de caoutchouc synthétique optimisés pour l’adhérence. Cette adhérence a un coût : l’abrasion libère des particules de microplastiques à chaque pas.

Une étude australienne de 2023 publiée dans Environmental Pollution l’a quantifié : le trail running produit 0,3 à 0,9 particule de microplastique par mètre linéaire et par coureur provenant uniquement des chaussures. Les vêtements synthétiques ajoutent 0,7 à 2,0 fibres supplémentaires par mètre linéaire. Sur terrain en pente et rocheux—exactement les conditions des sentiers alpins—les taux de libération augmentent.

**3. Équipement d’escalade et d’alpinisme**

Le Cervin voit des milliers d’alpinistes chaque année, la plupart utilisant des cordes fixes installées pour la saison. Les cordes d’escalade modernes sont des constructions à âme et gaine : une âme de fibres de nylon 6,6 (polyamide) torsadées entourée d’une gaine tressée en nylon.

Les cordes d’escalade en nylon sont constituées de fils ultra-fins—jusqu’à 135 filaments torsadés ensemble pour former les fils d’âme. La gaine ajoute une autre couche protectrice de nylon tissé serré. Chaque fois qu’un grimpeur saisit, mousquetonne ou charge une corde, la friction provoque une libération de fibres microscopiques.

La dégradation UV accélère ce processus. L’exposition prolongée aux UV dégrade et affaiblit les fibres de nylon. Les cordes fixes sur les voies alpines comme l’arête Hörnli du Cervin restent en place pendant des mois, exposées à un rayonnement UV intense à haute altitude. Lorsque le nylon se dégrade, il libère à la fois des microfibres et des additifs chimiques utilisés dans la fabrication.

Le programme de recyclage « Close the Loop » de Mammut a collecté 748 kilogrammes de cordes d’escalade usagées en trois mois rien qu’en Suisse—une fraction des déchets de cordes mondiaux. Lorsque ces cordes ont été analysées, elles montraient une perte importante de fibres due à l’abrasion et aux dommages UV.

Le ski de randonnée ajoute une autre dimension. Les semelles de ski en polyéthylène de poids moléculaire ultra-élevé (UHMW-PE) s’usent sur la neige et la glace, libérant des microplastiques directement dans les bassins versants alpins. Les peaux de phoque—les bandes adhésives qui permettent la montée—utilisent généralement du polyamide (nylon) ou des mélanges synthétiques qui libèrent des fibres.

### La menace synergique

La présence de microplastiques dans les environnements reculés va au-delà des mesures de pollution. Des recherches récentes révèlent des interactions inquiétantes entre les microplastiques et d’autres contaminants.

Une étude de l’Université de Birmingham publiée en octobre 2024 a exposé des daphnies à des niveaux réalistes de microplastiques et de PFAS tout au long de leur cycle de vie. Les résultats ont montré :
– 59% d’interactions toxiques additives et 41% synergiques
– Échecs de développement et maturité sexuelle retardée
– Avortement d’œufs et production réduite de descendants
– Effets plus graves dans les populations ayant une exposition antérieure aux polluants

« Les cadres réglementaires actuels se concentrent sur les tests de toxicité des produits chimiques individuels, principalement en utilisant des approches d’exposition aiguë (courte) », a déclaré le Dr Mohamed Abdallah, co-chercheur principal. « Il est impératif que nous enquêtions sur les impacts combinés des polluants sur la faune tout au long de leur cycle de vie. »

De nombreux vêtements de plein air utilisent des traitements DWR (déperlant durable) à base de PFAS. Ces « produits chimiques éternels » ne se dégradent pas et s’accumulent dans les sources d’eau. L’Office fédéral de l’environnement suisse estime que 14 000 tonnes de plastique finissent dans le sol et l’eau suisses chaque année, une grande partie se combinant avec la contamination par PFAS.

### Le lien humain

Vingt pour cent de l’eau du robinet en Suisse provient de lacs alimentés par des ruisseaux et rivières alpins. Le lac Sassolo se déverse dans de plus grands bassins versants. Le lac Tear of the Clouds est la source la plus élevée de la rivière Hudson. Les microplastiques qui s’accumulent dans ces sources d’eau coulent en aval dans les approvisionnements en eau municipaux.

Le boom de la randonnée accélère la contamination. Lorsque Tim Keyes est devenu la 7 630e personne à terminer les 46 sommets des Adirondacks en 2012, cette liste avait mis 87 ans à atteindre ce nombre. En 13 ans depuis, elle a doublé pour dépasser 16 000 membres. Le département de la conservation environnementale signale près de 32 000 contacts avec les gardiens de sommets en 2024 seulement.

Des tendances similaires se jouent dans les Alpes. Des étudiants suisses menant des recherches sur les microplastiques dans la Haute-Engadine ont noté que « tout le monde ici à Silvaplana qui s’arrête pour nous parler nous dit que nous perdons notre temps et que nous ne trouverons rien »—un sentiment qui reflète à quel point cette pollution reste invisible pour la plupart des visiteurs.

### Que peut-on faire ?

**Pour les amateurs de plein air individuels :**
– Choisir des chaussures avec des composés de caoutchouc plus durs (Vibram) plutôt que du caoutchouc souple et collant
– Porter des fibres naturelles (laine mérinos, chanvre, coton) lorsque les conditions le permettent
– Superposer les couches de base synthétiques sous des couches extérieures en fibres naturelles pour contenir la libération
– Retirer l’équipement usé avant une dégradation sévère des fibres
– Soutenir les marques développant des tissus à faible libération et des traitements sans PFAS

**Pour l’industrie du plein air :**
– Investir dans des matériaux synthétiques biodégradables ou à faible libération
– Développer des cordes d’escalade à partir de nylon recyclé (Neo 3R d’Edelrid utilise 50% de contenu recyclé)
– Éliminer les PFAS des traitements DWR
– Concevoir pour la longévité afin de réduire la fréquence de remplacement
– Mettre en œuvre des programmes complets de reprise et de recyclage

**Pour les gestionnaires de terrains :**
– Établir une surveillance des microplastiques dans les zones protégées
– Plafonner le nombre de participants aux événements en zone sauvage à fort trafic
– Réacheminer les sentiers autour des sources d’eau écologiquement sensibles
– Exiger le confinement des fibres synthétiques dans les zones d’escalade
– Financer la recherche sur les impacts environnementaux et l’atténuation

**Pour les décideurs politiques :**
– Développer des réglementations limitant les polymères nocifs dans l’équipement de plein air
– Exiger la divulgation des taux de libération de microplastiques pour les chaussures et vêtements
– Financer des stations de surveillance atmosphérique dans les régions alpines
– Soutenir la recherche pour identifier l’origine des microplastiques
– Créer des cadres de responsabilité élargie des producteurs

### La voie à suivre

Roman Lehner de l’Association Sail & Explore, qui supervise la recherche sur les microplastiques dans les Alpes suisses, souligne : « Il est important de mener une étude en Suisse pour montrer que le problème ne se limite pas aux mers ».

Une étude de 2019 du glacier Forni dans les Alpes a trouvé environ 75 particules de microplastiques par kilogramme de sédiment—potentiellement 162 millions de particules de plastique sur l’ensemble du glacier. Ces particules, emprisonnées dans la glace pendant des décennies, seront libérées à mesure que les glaciers fondent sous la pression du changement climatique.

Le Dr Joe Dadey d’Adirondack Hamlets to Huts l’a dit clairement : « Le lac Tear of the Clouds est une source sacrée de l’Hudson, pourtant nos recherches montrent qu’il porte déjà l’empreinte des microplastiques—probablement des visiteurs mêmes qui le vénèrent. »

Le voyage des microplastiques de notre équipement aux plus hauts sommets est un témoignage de la profondeur avec laquelle nos choix de matériaux affectent même les paysages les plus reculés. Sur le Cervin, dans les Adirondacks, à travers les Alpes—les preuves s’accumulent. Nous ne pouvons plus prétendre que ces endroits sont vierges. La question est de savoir si nous changerons nos pratiques avant que la contamination ne devienne irréversible.

Les montagnes sont toujours belles. Les lacs semblent toujours clairs. Mais au microscope, l’histoire est différente. Et c’est une histoire que nous écrivons à chaque pas que nous faisons dans la nature sauvage.


### Faits clés : contamination par microplastiques alpins

Recherche dans les Alpes suisses

  • Lac Sassolo (2 074m, Tessin) : 2,6 microplastiques/L, 4,4 fibres/L dans l’eau ; 33 microplastiques/kg, 514 fibres/kg dans les sédiments
  • Dépôt annuel : ~43 billions de particules à travers la Suisse ; ~3 000 tonnes de nanoplastiques
  • Contamination des sols : 90% des échantillons provenant de 29 bassins versants contenaient des microplastiques
  • Neige alpine : 0,19×10³ à 154×10³ particules/L (sites européens)
  • Portée atmosphérique : ~10% des particules parcourent >2 000km de leur source

Comparaison des montagnes Adirondack

  • Lac Tear of the Clouds (fréquenté) : 16,54 particules/mL (2025) ; 9,45 particules/mL (2023)
  • Moss Pond (isolé) : 0,73 particule/mL
  • Différence : 2 264% plus élevé dans la zone fréquentée
  • Taux de croissance : Augmentation de 75% en 2 ans

Types de polymères primaires identifiés

  • Polyéthylène (PE) – semelles de ski, emballage
  • Polyamide/Nylon (PA 6, PA 6.6) – cordes d’escalade, vêtements, peaux
  • Polyuréthane (PU) – semelles de chaussures, rembourrage mousse
  • Polyester (PET) – vêtements synthétiques
  • Polypropylène (PP) – âmes de corde, certains vêtements
  • Composés de caoutchouc – particules de pneus, semelles de chaussures

### Sources d’équipement et taux de libération

Chaussures (source primaire)

  • Chaussures de trail : 0,3-0,9 MPs/mètre linéaire/coureur
  • Polymères principaux : Polyuréthane (PU), polyuréthane thermoplastique (TPU), caoutchouc synthétique
  • Libération accrue : Terrain en pente, surfaces rocheuses, composés souples

Vêtements (source secondaire)

  • Vêtements synthétiques : 0,7-2,0 fibres/mètre linéaire/personne
  • Libération la plus élevée : Collants de course > chemises > vestes
  • Polymères principaux : Polyester, nylon, spandex/élasthanne

Cordes d’escalade

  • Construction : Nylon 6,6 (PA 6.6) à âme et gaine (âme + gaine)
  • Composition de l’âme : 10-15 fils de nylon tressés, chacun composé de jusqu’à 135 filaments
  • Dégradation : Exposition UV, abrasion par l’utilisation, intempéries
  • Cordes fixes : Exposition prolongée sur les voies alpines accélère la perte de fibres
  • Génération de déchets : 748kg collectés en Suisse en 3 mois (programme Mammut)

Équipement de ski de randonnée

  • Semelles de ski : Polyéthylène de poids moléculaire ultra-élevé (UHMW-PE)
  • Peaux de phoque : Polyamide (nylon), mélanges mohair, adhésifs
  • Mécanisme de libération : Abrasion sur neige/glace, particulièrement sur terrain rocheux

Co-contamination PFAS

  • Source : Traitements DWR (déperlant durable) sur vestes, tentes, gants
  • Effet synergique : 41% plus toxique lorsque combiné avec des microplastiques
  • Persistance : Ne se dégrade pas ; s’accumule dans les sources d’eau

### Sources de recherche et études

Études des Alpes suisses
– **Université de Berne (2018) :** 90% des échantillons de sol provenant de 29 bassins versants contenaient des microplastiques
– **Étude du lac Sassolo (2020) :** Analyse de la colonne d’eau et des sédiments, canton du Tessin
– **EMPA/Utrecht/Météorologie autrichienne (2022) :** Transport et dépôt atmosphériques de nanoplastiques
– **Science Advances (2019) :** Échantillonnage de neige dans l’Arctique, l’Allemagne et les Alpes suisses

Étude des montagnes Adirondack (2023-2025)
– **Chercheurs principaux :** Tim Keyes (Sacred Heart University), Joe Dadey (Adirondack Hamlets to Huts)
– **Analyse en laboratoire :** Parverio, Inc.

Impact du trail running (2023)
– **Publié :** Environmental Pollution, avril 2023
– **Lieu :** Australie
– **Résultats :** Taux de libération de microplastiques quantifiés des chaussures et vêtements

Toxicité synergique (2024)
– **Publié :** Environmental Pollution, octobre 2024
– **Institution :** Université de Birmingham
– **Responsables :** Dr Luisa Orsini, Dr Mohamed Abdallah
– **Focus :** Effets combinés PFAS et microplastiques sur organismes aquatiques

Étude du glacier alpin (2019)
– **Lieu :** Glacier Forni, Alpes
– **Institution :** Université de Milan
– **Résultat :** ~75 particules/kg de sédiment ; ~162 millions de particules sur le glacier

### Solutions en cours

Initiatives de l’industrie
– **Edelrid Neo 3R :** Première corde d’escalade avec 50% de contenu en nylon recyclé
– **Mammut Close the Loop :** Programme de recyclage de cordes ayant collecté 748kg en 3 mois
– **Aquafil Econyl :** Système convertissant les déchets de nylon en fibres régénérées

Actions recommandées pour les visiteurs alpins
– Utiliser des semelles de chaussures à composé plus dur (accepter une adhérence légèrement moindre pour la durabilité)
– Choisir des couches de base en laine mérinos ou autres fibres naturelles
– Limiter l’utilisation de vestes synthétiques aux conditions nécessaires
– Inspecter et retirer l’équipement très usé avant dégradation sévère
– Soutenir les marques éliminant les PFAS et développant des matériaux à faible libération
– Participer aux programmes de recyclage de cordes et d’équipement